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2 février 2010 2 02 /02 /février /2010 13:47

 

 

Cette rubrique est destinée à présenter des Hendayais(es) vivants(es) ou disparus(ues) qui auront marqué la vie de leur quartier et de la ville pour avoir été des personnages hauts en couleurs et/ou exemplaires.

 

Si vous souhaitez faire connaître ou voir renaître des figures marquantes sur lesquelles vous possédez textes et photos, contactez-nous en utilisant l'adresse mail que vous trouverez sous la rubrique "Contact" ci-contre. Vous pourrez alors nous demander à ce que votre anonymat d'intervenant soit garanti, toutefois aucun envoi non clairement identifiable sera publié.

 

Le portrait ci-après dépeint une ancienne riveraine fort pittoreque du quartier de Caneta.                                           

                           

                                        Pascaline Belloc

                          Née LALANNE

                           1862-1946

               Un personnage truculent aux mille facettes

 

     Marainotte.JPG

          

                                                             Portrait établi par                                                           Louis Rivière*

                                                                         

Un seul mot suffit à camper Pascaline Belloc, notre grand-mère maternelle que nous appelions affectueusement Marrainotte : truculente. La définition qu’en  donne le « Petit Robert » me confirme dans ce choix : Haut en couleur, qui  étonne et réjouit par ses excès. Un personnage truculent - pittoresque.

 

Ce recueil donnera un aperçu de sa personnalité. Pour apprécier et comprendre le pourquoi de sa langue crue, il faut savoir qu’elle était la dernière-née d’une filiation de marchandes de légumes et de fruits, achetés à la campagne et revendus dans les rues du quartier Saint-Esprit de Bayonne. Situé sur la rive droite de l’Adour, il était essentiellement composé de familles modestes.

 

Une communauté juive, expulsée d’Espagne par Isabelle la Catholique, y avait trouvé refuge. Maman, dont un grand-oncle était le concierge de la synagogue, se remémorait la famille de René Cassin - son cadet de deux ans- qui fit adopter la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Prix Nobel de la paix. Elle nous rappela, maintes fois, la bonté des Juifs à l'égard de leurs voisins dans la difficulté.

 

Elle n’avait aucun souvenir de ses arrière-grands-parents. Par contre, elle redonnait vie à la seule image rapportée par sa grand-mère, mamie Catichotte – diminutif de Catherine. Sur la fin de ses jours, l’aïeule continuait d’accompagner sa fille. Celle-ci entretenait son illusion de participer à leur petit commerce : chaque matin, elle glissait dans la poche de son tablier quelques souricots (piécettes d’un sou), qu’elle était heureuse de compter, recompter et de faire tinter.

 

Venant de Bayonne, nos grands-parents maternels s’installèrent à Hendaye en 1889, l’année de naissance de papa. Raimond avait trente et un ans, Pascaline vingt-sept, maman en avait quatre, son petit frère Justin deux. Tante Mayotte, la dernière des sept enfants, naîtrait en 1902. L’oncle Justin mourrait en 1910 à l’âge de vingt-deux ans, emporté par la tuberculose, suite à un refroidissement ; grand-père disparut d’une jaunisse en 1914 ; tante Thérèse décéda d’un cancer en 1ç36, à l’âge de quarante-sept ans. Elle laissait trois enfants, maman fut désignée comme leur subrogé tuteur.

                                                 Justin.jpg

                                     Justin assis à sa table de travail peu de temps avant sa mort.

                                La fabrique de sabots Hayet était située le long de la rue de la Gare.

 

Le jeune frère de Marrainotte, Bernardin, âgé de quinze ans, vint les rejoindre pour aider son beau-frère, bourrelier, associé à un coquin qui abusa de la confiance de notre grand-oncle, en fit son complice et mit la famille sur la paille. Elle se retrouva dans la pauvreté et subsista, aidée par la générosité de Madame Vic, la femme du docteur, maire de la commune. Trois fois par semaine, c’est maman qui allait chercher le plat préparé par la bonne de leur bienfaitrice. Les enfants marchaient pieds nus et des sabots de bois, réservés à leur assiduité à la grand-messe du dimanche, leur étaient fournis par le curé, sous le patronage de Saint-Antoine. Grand-père trouva un emploi de garçon de chai.

 

Maman, évoquant son papa, me disait que j’avais hérité de son sourire. C’est lui qui servait la soupe à chaque repas et, lorsqu’ils avaient pu acheter un morceau de fromage, le découpait en autant de « Tour Eiffel » qu’il y avait de bouches à nourrir autour de la table. Il était équitable, pacifiste, républicain affirmé. Marrainotte était autoritaire, entreprenante, dure au travail comme avec ses enfants. C’était une maîtresse femme qui portait la culotte.

 

Elle confectionnait des matelas, neufs pour les clientes aisées et, le plus souvent, les refaisait pour des pratiques démunies ou peu exigeantes pour leur literie. Elle installait son matériel dans les cours ou jardins des maisons cossues ou devant les portes en ville, dans les quartiers de la gare, de la plage, au bas-quartier. Je la revois, assise sur sa cardeuse, prenant, dans une grande toile, la laine à travailler qu’elle y avait déposée. Elle remplissait le fond de la machine de poignées de boules informes, tassées des années durant, dans un matelas fatigué, parfois même crevé.

                                Marainnotte-Cardeuse.jpg

                                                    Pascaline Belloc devant sa cardeuse

 

Puis, le peigne incurvé rabattu, elle les démêlait par un va-et-vient vigoureux et cadencé. Elle obtenait ainsi de gros flocons échevelés qu’elle déposait par poignées dans une autre toile. Après cette longue préparation, elle façonnait le matelas sur son métier, lui donnant son aspect de damier renflé, à l’aide d’une grosse aiguille recourbée. Sorti de ses mains, épais, moelleux, il fleurait bon la laine régénérée par l’air et le soleil. Sa tâche accomplie, elle s’en revenait, poussant sa cardeuse chargée du métier, harassée par sa longue journée de labeur. Enfant, il m’est arrivé d’actionner le peigne, m’appliquant à faire mousser les fibres davantage encore. Ce jeu tournait vite à la corvée.

 

À la mi-septembre, les bogues des châtaigniers ayant libéré les fruits arrivés à maturation, commençait la période des châtaignes grillées. En fin d’après-midi, Marrainotte disposait son brûlot dans le bas de la place de la République, à l’entrée de la rue du Port. Et à ses pieds, le sac de châtaignes que maman avait rapporté de Fontarabie, sur sa tête, ayant parcouru pieds nus, par le pont international, une bonne dizaine de kilomètres. La cuisson à point, elle conservait les marrons au chaud, protégés par un vieux sac à patates, plié en deux, qu’elle soulevait juste assez pour saisir les douzaines achetées par ses clients. Madame Belloc, à cette époque de l’année, redevenait la « castagne » (marchande de châtaignes en gascon).

 

Au mois de novembre, le jour de la fête du village, elle montait à Biriatou, assurée d’y faire une recette exceptionnelle. Une année, à l’approche de la nuit, elle s’en retournait le brûlot sur sa carriole à bras ; elle fut canardée des hauteurs du chemin pentu. De jeunes garçons ; frustes, en raison de l’éloignement des rares fermes de cette minuscule commune, et éméchés, lui jetaient des pierres. Marrainotte n’ignorait pas les risques courus en cette occasion de liesse. L’épisode révèle la forte femme, affrontant seule le danger, capable de se battre, son caractère et sa détermination hors du commun.

 

Je devais avoir neuf, dix ans, lorsqu’elle cessa de travailler, dans sa soixantaine, après avoir trimé toute sa vie. Toujours aussi précieuse pour les joueurs de rugby ou de pelote basque, qu’elle soignaient avec sa main de rebouteuse. À défaut d’huile ou d’alcool camphré, dont elle pouvait être démunie, elle lubrifiait son pouce et son index avec de la salive pour soigner leurs luxations, provoquant de brèves plaintes chez ces sportifs endurcis.

 

Au cours de sa vie, elle était devenue une figure hendayaise, familière tant avec la population qu’avec les notables. Elle ne s’embarrassait pas de considérations sociales qui auraient entravé sa liberté de parole.

 

Je l’ai toujours connue dans la maison «Bel Air» (rue du Jaïzquibel), où la famille emménagea, peu après son arrivée à Hendaye, et que jouxta, bien plus tard, le groupe scolaire inauguré en 1925, année où je fis mon entrée à l’école maternelle. En 1936, elle loua un appartement rue de la Barrière, au bas-quartier. En 1941-1942, sur la décision de maman, qui veillait attentivement sur elle, elle s’est retirée à «Camp de Prats», dans le haut du quartier de Mousserolles, la maison de retraite réservée par la ville aux personnes originaires de Bayonne.

 

Marainnotte-Bail-air.png

               Pascaline Belloc dans l’arrière-cour de la maison «Bel Air» qui était située rue du Jaïzquibel

 

Le 7 novembre 1946, maman et moi avons passé l’après-midi à son chevet, n’imaginant pas sa fin imminente. Au moment de la laisser, de son regard malicieux, elle m’a désigné le tiroir de la table de nuit. J’y ai pris la boîte de pastilles que maman avait garnie de petits morceaux de chocolat. Suçant sa gourmandise, elle m’a fait un clin d’œil - sa dernière connivence – et m’a soufflé, d’une voie à peine audible : «Ques boun! aco» (c’est bon! Ca). Nous l’avons embrassée, apaisée, détachée.

 

Le surlendemain matin, avertis de sa mort survenue le 8 à 10 heures, je suis allé la retrouver à la morgue. Le contact de mes lèvres avec son front glacé a établi le lien physique qui m’a intégré au cœur même de la chaîne ininterrompue entre les générations.

 

Elle a été enterrée le 11, dans la tombe surmontée par la croix de fer forgé, ouvragée à la mémoire de son neveu Justin par Bernardin, le frère à qui elle n’avait jamais pardonné. Ses obsèques furent aussi suivies, par des centaines de personnes, que celles de Monsieur Imatz, disparu peu avant, hôtelier réputé, catholique fervent, propriétaire du «Grand Hôtel Imatz», place de la République.

                                       Cimetière

                                  Sa tombe surmontée d'une croix en fer forgé au vieux cimetière

 

À quelque temps de là, il en fut de même pour celles de Monsieur Pardo, riche épicier, dépositaire des produits Félix Potin, qui drainait une clientèle estivale nantie et, avant le soulèvement factieux de Franco et la fermeture de la frontière, attirait la société espagnole fortunée, souvent titrée, le duc d’Albe, le marquis de Linarès, tant d’autres encore ….

 

Marrainotte avait quatre-vingt-quatre ans lorsqu‘elle s’est éteinte, telle la flamme vacillante d’une lampe à huile, consumée jusqu’à sa dernière goutte.

 

Pascaline Belloc, femme populaire, accompagnée avec la même sympathie, le même respect, réservés à ces deux personnalité :une manifestation d’estime qui réconforte dans le deuil

 

Je rapporte, aussi fidèlement que possible, quelques histoires, anecdotes et boutades entendues de sa bouche ou de celle de maman.

 

                                                              Le précieux crottin

 

Des géraniums ornaient les fenêtres de la cuisine et de la petite chambre ; des plantes aux verts intenses des prés du Pays basque, couvertes de fleurs éclatantes. Marrainotte avait un tour de main : du crottin, judicieusement éparpillé, renouvelé avec mesure.

 

On pouvait la voir, au carrefour de la rue du Jaïzquibel et du boulevard de la plage, avec un seau, la pelle de l’âtre et un moignon de balayette. Elle y ramassait les plus beaux crottins des chevaux de rares paysannes portant leur lait au porte-à-porte, de fiacres ou de quelques voitures, laissant le rebut aux envolées des moineaux.

 

                                                            Son matelas sur le dos

 

Dans l’hiver 1936-1937, maman alla chercher Marrainotte, alitée, et l’installa chez nous pour la soigner d’une broncho-pneumonie galopante.

 

Le matin, avant de partir à son travail, papa frappait à la porte de sa chambre, pour la forme, sa surdité l’empêchant d’entendre l’avertissement discret. Il lui apportait son bol de café, servi sur le petit plateau noir décoré.

Marrainotte, énergiquement traitée par sa fille, dorlotée par son gendre, se remettait de sa maladie. Son appétit revenu, elle coulait du bon temps, bien au chaud. Elle ne manifestait aucune impatience, ne faisait aucune allusion à sa maison, distante d’une centaine de mètres.


Un matin , papa toque, pousse la porte et reste interdit sur le seuil. Il se rend

à l’évidence : «La mère» a filé à l’anglaise par la porte donnant sur l’escalier de trois étages.

 

Un voisin l’avait aperçue, sur le coup de quatre heures, se dirigeant vers sa rue, portant un matelas sur son dos. C’est Jojo qui l’avait amené de chez elle pour remplacer celui que mamie avait prêté à des réfugiés espagnols.

 

L’indépendance de Marrainotte est tout entière révélée par ce fait, accompli aux risques d’une rechute, sans laisser paraître le moindre signe qui aurait pu alerter maman et papa.

 

Exemplaire de sa témérité, de sa ténacité, de sa force dans sa soixante-quinzième année.

 

                                                  L’au revoir de Jojo à Marrainotte

 

Depuis le conseil de révision où il a été reconnu «Bon pour les filles», Jojo(mon frère Georges)attend ce premier octobre 1937 plutôt avec impatience, comme la moitié du contingent de la classe 1936. Son affectation lui est parvenue depuis peu : la 62èmeescadrille de l’air basée à Mekhnès. En fin de journée, un paquebot à quai à Bordeaux, le «Ville d’Oran», va lever l’ancre pour Casablanca. Après les festivités du mois de juin, au cours desquelles ils ont fêté leur conscription par des libations débridées jusqu’au petit matin, il va endosser l’uniforme.

 

Il est six heures. Je l’accompagne pour les adieux à sa marraine. Cet appel sous les drapeaux de l’aîné de ses petits-enfants lui fait se remémorer l’incorporation de Raimond, son fiancé, pour l’accomplissement de sa période militaire en Algérie. Elle avait été menacée par son père d’une rouste avec une corde, si elle s’amusait à jouer avec la parole donnée à son promis. Il répéta, jusqu’à la fin de ses jours, qu’il ne voudrait pas mourir sans revoir son Algérie qui l’avait émerveillé.

 

Nous sommes assis tous les trois devant l’âtre éteint. Marrainotte a fait réchauffer le café sur le petit réchaud à alcool. L’aiguille du réveil est insensible à l’émotion des deux êtres qui ne se reverront peut-être jamais. Et le train de sept heurs impose l’impérieux moment de la séparation. Tout à coup, Marrainotte rompt le paisible dialogue : « Tu sais… petit…. Fais très attention là-bas !!» Elle sanglote. Imitant un fougueux bras d’honneur, elle hoquette : «Ton grand-père… me disait… ils ont le membre… long et gros comme çà !!»

 

Pauvre Marrainotte ! Nous l’embrassons – elle garde Jojo dans ses bras, la tête sur son épaule, pleurant de plus belle, rongée par une inquiétude que rien ne nous avait laissé deviner. Chère Marrainotte, bouleversée, gagnée par l’angoisse d’une grand-mère au bord du désespoir. Son filleul, le préféré de ses petits-enfants, s’éloignait d’elle pour la grande aventure dans cette lointaine Afrique, d’où son Raimond avait rapporté des souvenirs cauchemardesques d’une occupation coloniale, mortelle pour nombre de ses camardes de régiment.

 

Sa dernière saillie :

 

                                                           Les touches du piano

 

Jef était un ami de tante Charlotte, sœur de maman, mariée à un bruxellois, l’oncle Jean. En sa qualité d’organiste de la paroisse du Béguinage, il dirigeait la chorale à laquelle notre cousin Charles participait.

 

Venant de Bruxelles, qu’il avait fui lors de la débâcle provoquée par l’offensive allemande, puis chassé de Paris, il arriva à Hendaye le 25 mai 1940. Il se mit en quête des filles Belloc, le seul nom de famille qu’il avait retenu.

 

Faisant la connaissance de marrainotte chez nous, où il avait été accueilli à bras ouverts, il lui manifesta un attachement respectueux. Ils s’adoptèrent spontanément, tout heureux de s’entretenir familièrement. Marrainotte l’appelait «le pianiste».

 

À l été 1946, Jef, impatient de nous retrouver depuis son retour chez lui en septembre 1940, revint à Hendaye passer ses vacances avec nous. Les fils de nos sentiments et de nos pensées ne s’étaient pas distendus.

Dès son arrivée, sa première préoccupation fut de rencontrer marrainotte. Tous deux avons pris le train pour lui faire une visite dans sa maison de retraite. La grille de « Camp de Prats » à peine franchie, marrainotte, qui se dirigeait vers la sortie au cours de sa promenade, aperçut nos silhouettes au bout de l’allée rectiligne.

 

Tandis que nous nous approchions, elle abrita ses yeux, la main en visière, reconnut Jef et s’exclama : «Ou! lou Belge !... Dis petit ! Tu branles toujours les touches du piano ??»

 

Cette apostrophe résonne comme si je venais de l’entendre. Elle recèle la quintessence des boutades de notre inénarrable marrainotte.

 

  * Découvrir le portrait de Louis Rivière :   http://hendaye.environnement.over-blog.fr/2013/06/portrait-de-louis-riviere.html                                                                

                      

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