SOCIÉTÉ
Retrouverons-nous bientôt le niveau des débats franco-allemands d'avant 1914 ?
La campagne de dénigrement lancée par une partie
de la presse allemande envers la classe politique française, mais aussi envers certains capitaines de l'économie hexagonale chancelante, n'en finit plus d'assomer les lecteurs d'outre-Rhin.
Nous rapportions
dernièrement (1)
les accusations de "protectionnisme" portées à l'encontre de François
Hollande par l'influent et conservateur quotidien "DIE WELT".
Ce journal relance dans un autre article la polémique, s'attaquant cette fois au personnel politique français qu'il traite, toutes tendances confondues, "d'élitiste et incompétent". Il
s'en prend par ailleurs à "la gauche caviar nationaliste" qui, selon lui, ne songerait qu'à étatiser
l'économie. Pas même la presse française "étatiquement subventionnée",
et qui ne compterait de ce fait plus que quelques
"derniers journalistes critiques", n'est épargnée
par
ce journal. Cette dernière réflexion est
d'autant plus amusante et paradoxale, que la dépendance rédactionnelle des journalistes du groupe de médias Axel Springer qui publie entre autres le
quotidien
"DIE WELT"
est bien connue.
La dépréciation
répétitive
du statut du
partenaire français vise probablement aussi à infléchir l'opinion allemande, afin de mieux lui faire
comprendre que l'axe
franco-allemand n'offre plus de cohésion et garanties suffisantes pour contrebalancer les problèmes économiques de la Zone
euro.
Les critiques acerbes
formulées à l'encontre du voisin français résument par ailleurs assez explicitement le souci des sphères politico-économiques néolibérales d'outre-Rhin, qui semblent désormais vouloir ne plus
compter que sur leurs propres forces. Cela est d'autant plus perceptible que l'on prend lentement conscience qu'une aggravation de la situation économique française viendrait fortement perturber
l'économie allemande, sachant que l'hexagone importe d'Allemagne autant que les USA et la Grande-Bretagne réunis. 102 milliards d'euros de biens et de services ont été achetés outre-Rhin en 2011,
alors que nous y exportons moins qu'un petit pays comme les Pays-Bas (66 contre 82 milliards
d'euro).
Le déséquilibre
abyssal des échanges commerciaux franco-allemands va largement dépasser les 40 milliards d'euros sur la seule année 2012. Ceci ne laisse présager rien de bon quant à la capacité française à
préserver encore longtemps son rang de seconde puissance économique européenne. Les Allemands sont conscients de ce problème et estiment que l'actuel déficit commercial français ira crescendo,
affaiblissant encore plus la position hexagonale et par voie de conséquence les exportations allemandes vers ce pays. Cette conjugaison de facteurs pourrait alors conduire à une réaction en
chaîne qui dépréciera l'euro, élément moteur de l'économie allemande qui parvient à exporter ses produits et services quel qu'en soit le taux. Nous comprenons ainsi mieux pourquoi nos voisins
germains
regrettent finalement le temps où la valeur de leur monnaie et de leur économie ne dépendaient que de leur seule ardeur au travail ainsi que de leur propre discipline
collective.
Les bouleversements
en cours amènent donc à penser que nous sommes parvenus à un virement dans les rapports franco-allemands. L'historien et sociologue américain Perry Anderson considère pour sa
part (2) que la crise présente va accélérer un processus d'évolution devant mener du stade "de la solidarité
à la suzeraineté" dans les relations entre nos deux pays (3). Voilà matière à réflexion dont on mesurera le bien-fondé au fil des mois et années à venir.
La Rédaction de HENDAYENVIRONNEMENT
L'Assignat, contre-valeur de biens nationaux : symbole d'épouvante
économique pour nos voisins germains.
(Collection privée Sirius)
AVEC LE BEAUJOLAIS ET LA BAGUETTE POUR
SEULES ARMES CONTRE LA FAILLITE ÉTATIQUE
Par Markus Martin* (4)+(5)
Markus Martin* est également connu pour sa collaboration à la rédaction d'un blog ultra-conservateur et anti-islamiste dénommé " L'axe du
bien " (Die Achse des Guten :http://www.achgut.com/dadgdx/ ). Il a
également été rédacteur au quotidien berlinois " Tageszeitung " (Taz) qui est proche du parti Vert allemand.
Traduction : Sirius
C'est vraiment étrange : Il y a déjà des années qu'économistes et sociologues se penchent sur le sort des pays en crise du Sud de l'Europe pour
nous communiquer ensuite leurs mauvaises nouvelles, toutes plus troublantes les unes que les autres, alors que pendant ce temps se poursuit le bavardage sur le "moteur franco-allemand", "noyau dur" de l'Europe qui ne devrait pas "cafouiller".
Entre temps, en raison de la dette publique française faramineuse (elle se monte actuellement à 90% du PIB), une question se pose : avons-nous ici
affaire à un grave problème de communication, une cécité naïve généralisée, ou peut-être encore à une dernière victoire à la Pyrrhus dans l'art bien français de jouer avec des écrans de
fumée ?
Quand la France pourra-t-elle être prise au
sérieux ?
Il ne semble pas que ce soit pour une question d'éventuel complexe de culpabilité allemande que le persistant malaise français a, jusqu'à ce jour, été à
peine évoqué. Combien d'argent des contribuables a été gaspillé dans d'absurdes congrès routiniers et projets de recherches destinés à la "réconciliation franco-allemande" qui est continuellement
et pathétiquement implorée, alors qu'elle n'a, en réalité, depuis longtemps déjà plus qu'une signification des plus banales. Tout ceci correspond, sans faire de theâtralité conférencière, à la
situation actuelle, pour laquelle l'on pourrait ne rien trouver à redire si ce pays voisin n'était en fait le prochain candidat à la déstabilisation.
Pourquoi personne n'a cherché à y regarder de plus près ? Louis Gallois, ancien patron au nom expressivement français du consortium EADS a, il y a
deux semaines, livré involontairement une explication indirecte en formulant un jugement cinglant sur l'économie française et en prônant des réformes radicales. Un "choc de confiance est nécessaire", a poétisé celui qui a jadis fait une carrière lucrative grâce aux
contrats publics. Son trémolo sur la crise était renouvelé sur un ton ponctué de bolchévisme et de fausse élégance, ce qui est aussi exactement le registre du pourfendeur déclaré de la
mondialisation qu'est Arnaud Montebourg, "ministre du redressement productif" de son état.
"Le style, c'est l'homme" exprima jadis Madame de Staël, ce qui pourrait aussi se laisser décliner au collectif dans une société française qui offre
l'inquiétante image globale d'être prisonnière d'un mode de fonctionnement axé sur le papotage. Ainsi, la façon dont fonctionnait le couple Sarkozy, a semblé intéresser bien d'avantage pendant
toute la durée de son pouvoir quinquennal, que le mépris qu'il affichait ouvertement pour la répartition démocratique des pouvoirs ou l'instrumentalisation scandaleuse des services secrets mis à
contribution pour faire surveiller les derniers journalistes encore critiques (en France, les médias écrits et électroniques sont subventionnées à coups de millions par l'État, lui-même au bord
de l'abîme, d'où les prévisibles sujets tabous dans leurs reportages).
L'énigmatique semblant de servilité envers la Cour se poursuit : À peine François Hollande trahissait-il dans son langage des signes un peu plus
d'audace réformiste, qu'Ayrault, en sa qualité de Premier ministre et ancien professeur d'Allemand, lançait sur un ton cassant : "Madame Mérkel", s'estimant être l'intermédiaire
obligé ?
La "Gauche caviar" et son passé
Même le papotage issu des cercles politiques parisiens se doit de respecter des frontières clairement tracées. Dans le cas contraire, on aurait
peut-être pu faire remarquer que, malgré le chômage de masse, Monsieur le ministre de la réindustrialisation (M. Montebourg NDLR) était avant toutes choses préoccupé d'installer son attractive
épouse dans le fauteuil directorial du légendaire magazine musical "Les Inrocks". On aurait par ailleurs pu rappeler au ministre des Affaires étrangères actuellement en poste, Laurent Fabius,
représentant classique de la "Gauche caviar" nationaliste, son passé de Premier ministre sous Mitterrand : à l'époque, trois mille français se sont vu sciemment injecter du sang contaminé au
VIH par l'entremise d'un institut étatisé de transfusion sanguine, sans que pour autant le dossier de ce scandale pourtant assez rapidement révélé et déposé sur les fauteuils Louis VXI des hommes
politiques de premier rang ait pu être traité avant d'avoir dû patienter une éternité.
D'innombrables victimes décédèrent dans l'entre-temps, alors que Laurent Fabius et ses ministres furent ensuite relaxés par une Justice seulement
partiellement indépendante du politique. À propos de l'intervention menée aux airs d'une rhapsodie par Dominique de Villepin contre Washington lors de la guerre en Irak, sait-on quelle part
d'aide logistique au génocide de millions de Tutsis dans le Ruanda de 1994 cet ancien délégué à l'Afrique du réformiste ministre des affaires étrangères Alain Juppé avait-il assumée
?
Nul besoin d'être un "anglo-saxon" méfiant envers l'État (une insulte plus grave dans la France d'aujourd'hui que le qualificatif "boche" utilisé
jadis à l'égard des Allemands) pour considérer comme explosif ce mélange de refoulement du présent et de l'Histoire, et constater que l'éternelle inamovibilité d'un personnel politique élitiste
et incompétent est la raison profonde de la crise.
Un État bâti sur des illusions
Les alternatives à cette situation sont comptées. La France n'a pas de démocratie chrétienne ou de social-démocratie, si bien bien que la Gauche et
la Droite sont unies dans leur penchant pour l'étatisme, leur minimisation des initiatives privées issues des rangs de la classe moyenne, ainsi qu'une tendance partagée par tous les camps pour le
protectionnisme qui sert d'une façon effrontée la rhétorique anticapitaliste de l' "égalité toujours"(6). Pendant ce temps, les exportations françaises reculent, le chômage
des jeunes explose (de nouveaux emplois improductifs doivent être "créés" dans l'administration pour apporter de l'apaisement), l'antisémitisme musulman sévit dans les banlieues, la sécurité
sociale est au bord de l'effondrement et l'État est menacé de faillite.
Mais, où se cachent donc les essayistes français qui pourraient régler leurs comptes avec le caractère quasi-socialisant de leur pays ? Où sont
les politologues capables d'examiner en profondeur le tissu relationnel noué entre les diverses institutions et appeler à la séparation des pouvoirs préconisée par Montesquieu ? C'est
curieusement dans un pays où se sont déroulés les événements estudiantins tumultueux de 1968 que la société est restée la plus autoritaire d'Europe occidentale.
Aujourd'hui encore, les jeunes dans leur immense majorité expriment le souhait de devenir "fonctionnaires"(7), une place en or dans un
appareil administratif qu'ils chérissent autant qu'ils le haïssent ! Pendant ce temps, les cinémas continuent de projeter des films sentimentaux finement ciselés, tout à fait dans l'esprit
de l'incontestable succès que fut "Amélie Poulain": un retour rêvé au jardin clos de l'idylle gauloise où le Beaujolais a éternellement bon goût et où même la baguette de pain est
subventionnée.
(1) Voir notre premier article "Remous
franco-allemands" sous la rubrique "Société & Solidarité".
(2) Lire dans le "Diplo" de décembre 2012 : "L'Europe face à l'hégémonie allemande" de Perry
Anderson. http://www.monde-diplomatique.fr/2012/12/ANDERSON/48468 (pour l'instant seulement sous forme d'aperçu)
(3) Voir une étude de 2010 sur les relations économiques
franco-allemandes et performance comparée des deux pays:http://www.strategy-action-international.com/dante/repo/tmp
/1311774792.VKBJGGIHGGHDSVRAIQOPBTNQLQBHSATA/88468_0Extrait_RACCFA2010_web.pdf
(4) Dans "DIE WELT" du 18 novembre 2012 : http://www.welt.de/debatte/kommentare/article111303463/Mit-Beaujolais-und-Baguette-in-die-Staatspleite.html
(5) Le contenu de cet article a été analysé et critiqué dans le quotidien économique "La Tribune" :http://www.latribune.fr/espace-abonnes/economie/20121120trib000732120/l-inconscient-allemand-et-le-french-bashing-.html
(6)+(7) : en français dans le
texte
Nota : Les illustrations et leurs légendes ne sont pas du quotidien "DIE
WELT".