Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 septembre 2018 7 30 /09 /septembre /2018 20:49
Les tailleurs Émile et Léa Delvaille en compagnie de leur fille Arlette ainsi que de petits camarades, photographiés devant leur atelier familial jadis situé à l'angle du boulevard de la Plage (aujourd'hui Bld. du Général de Gaulle) et de la rue du Jaïzquibel. Photo estimée à 1932

Les tailleurs Émile et Léa Delvaille en compagnie de leur fille Arlette ainsi que de petits camarades, photographiés devant leur atelier familial jadis situé à l'angle du boulevard de la Plage (aujourd'hui Bld. du Général de Gaulle) et de la rue du Jaïzquibel. Photo estimée à 1932

 

 

PORTRAIT

                        

ARLETTE DELVAILLE-TERRIS

1923-2023

 

Confrontée à l'implacable destin qui fit basculer sa vie ainsi que celles des siens le 17 mars 1943, Arlette Delvaille-Terris va très prochainement franchir le seuil d'un nouvel anniversaire.

 

La Rédaction d'HENDAYENVIRONNEMENT se joint à ceux qui connurent Arlette sur les bancs de la communale d'Hendaye vers la fin des années vingt pour lui adresser ses vœux les plus émus et chaleureux de longue et paisible existence.

 

Arlette s'éteindra le 18 mars 2023, à quelques mois de son 100ème anniversaire, emportant avec elle l’indéfectible lien qui l'unissait à ses parents qu'elle n'aura cessé de chérir.

 

                                           

L'ÉTERNEL QUESTIONNEMENT

D'UNE RESCAPÉE DES CHAMBRES À GAZ

 

                                                D'après des notes recueillies par                                                               Christian Rivière

 

Les meurtrissures éprouvées par les familles des disparus victimes de la dictature nazie laissent encore, 70 années après la fin du Second conflit mondial, de douloureuses traces parmi les Hendayais-es qui furent confrontées aux décès en déportation d'un ou plusieurs de leurs membres. Tel fut le cas d'Arlette Delvaille-Terris, dont le père et la mère périrent gazés au camp d’extermination d'Auschwitz.

 

Les époux Émile et Léa Delvaille tenaient un atelier de confection sur mesure situé à l'angle du boulevard de la Plage (aujourd'hui boulevard du Général de Gaulle) et de la rue du Jaïzquibel. Le nom évocateur de l'enseigne, «Modern Tailor», pouvait faire suggérer que le monde d'alors était une fois pour toutes entré une phase de modernité de laquelle résulterait un élan vertueux qui bannirait à tout jamais l'atrocité des conflits guerriers hérités de rites ancestraux, mais hélas il n'en fut rien ! Les Delvaille résidaient au-dessus de leur atelier et leur fille Arlette, née le 30 septembre 1923, n'était pas encore parvenue au seuil de sa vingtième année lorsque le couple fut arrêté par la Gestapo le 17 mars 1943 en présence d'un gendarme de la brigade d'Hendaye, au prétexte d'une non-soumission à l'obligation du port de l'étoile jaune.

La famille Delvaille au grand complet, photographiée ici lors d'une sortie dominicale devant le bateau échoué qui reposait sur le sable côtier entre Haïçabia et les falaises de Socoa.  Photo estimée à 1935.

La famille Delvaille au grand complet, photographiée ici lors d'une sortie dominicale devant le bateau échoué qui reposait sur le sable côtier entre Haïçabia et les falaises de Socoa. Photo estimée à 1935.

DÉPORTÉS À AUSCHWITZ

 

Après avoir été internés au fort du Hâ à Bordeaux, puis transférés au camp de Mérignac, les époux Delvaille furent ensuite envoyés vers Drancy et déportés à Auschwitz le 25 novembre 1943, où ils furent gazés et incinérés le 7 décembre 1943.

 

Depuis maintenant 72 ans une lancinante question taraude Arlette qui, des années après la Libération, espérait encore que la disparition de ses parents à Auschwitz ne reposait que sur une affirmation erronée. Le prétexte avancé pour envoyer son Papa et sa Maman vers ce lieu de génocide lui paraissant d'autant plus excessif et invraisemblable que des témoins de l'époque se souvenaient que le couple se pliait au port de l'étoile jaune, même si, coquette et fort sensible aux regards suspicieux, Léa Delvaille avait pour habitude de partiellement dissimuler cet insigne discriminatoire en ornant son torse de foulards plus décoratifs les uns que les autres.

 

«Je vis comme une rescapée, pourquoi pas moi ?», réitère inlassablement Arlette depuis ce drame. «Pour quelle raison l'un d’eux a-t-il hurlé, Non ! Pas la fille...» questionne-t-elle, hantée de savoir si ce brailleur lui avait uniquement épargné la vie parce qu'il avait quelque peu été sensibilisé par la mélodie qu'elle jouait au piano du salon à l'étage du dessus au moment même où ces hommes en armes firent irruption dans l'atelier.

 

 

SOULAGÉE D'UN POIDS DEVENU INSUPPORTABLE

 

Tout autant angoissante sera la relation qu'Arlette entretiendra avec son ancien quartier de Caneta, puisqu'elle ne trouvera plus jamais la force psychique d'y réapparaître. Elle relira des décennies durant les lettres de ses parents écrites du fort du Hâ, au camp de Mérignac, ou encore cette ultime missive postée en gare de Bordeaux et rédigée pendant que le convoi qui devait amener ces derniers à Drancy se faisait attendre. Ses nuits devinrent au fil du temps d'autant plus cauchemardesques que cette interminable relecture exerçait des effets toujours moins contrôlables sur son affectivité. Arlette décidera alors de confier ces lettres au Centre de documentation juive contemporaine en s'exprimant ainsi :

 

Monsieur le Conservateur,

 

Mon ami Louis Rivière* m'a conseillé de destiner à votre institution les dernières lettres que mes parents m'ont adressées peu avant leur déportation.

 

Je ne peux plus les lire, cela devient disons un supplice.

 

Quel grand malheur.

 

Je les confie à Maurice Cling** qui a bien voulu accepter de vous les remettre.

 

Ce don me soulage d'un poids devenu insupportable.

 

Leurs adieux seront ainsi associés au souvenir des victimes du génocide perpétré par les nazis.

 

Acceptez, Monsieur le Conservateur, l'expression de ma reconnaissance pour le méthodique travail de mémoire que votre Centre accomplit depuis le retour des rares survivants.

 

Bien cordialement,

 

Arlette Delvaille-Terris

 

 

DANS L'ESPOIR DE CONNAÎTRE UN JOUR UN MONDE MEILLEUR

 

Le cas de rescapée du génocide juif d'Arlette Delvaille-Terris est exemplaire. Les séquelles qui l'accablent sont irréparables et elle vit dans la hantise de ne jamais pouvoir faire son deuil. Elle ignore encore aujourd'hui les motivations de la Gestapo qui a décidé de ne pas la déporter avec ses parents à Auschwitz.

 

La participation d'un gendarme de la brigade d'Hendaye concrétise la collaboration des rouages de l'État français sous l'autorité de Philippe Pétain. Inculpé de haute trahison, ce dernier sera condamné à la peine capitale qui sera par la suite commuée en incarcération à perpétuité.

 

Le 20 Janvier 1942 s'est tenue à Wannsee (aux portes de Berlin) la conférence de mise au point de la Solution finale de la question Juive par recours au génocide institutionnalisé. En 1946 cette disposition et sa mise en œuvre épouvantable ont été qualifiées de crime imprescriptible contre l'Humanité par le tribunal international siégeant à Nuremberg.

 

 

  Voir le portrait de Louis Rivière, ancien déporté, sous notre rubrique "HISTOIRE LOCALE".

**  Maurice Cling est également un ancien déporté, rescapé d'Auschwitz.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires