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24 septembre 2021 5 24 /09 /septembre /2021 11:56

 

 

 

HISTOIRE LOCALE 

 

                           

                          FIGURES HENDAYAISES DU PASSÉ

 

 

Cette rubrique est destinée à présenter des habitants qui auront marqué la vie de leur quartier et de la ville d'Hendaye pour avoir été des personnages hauts en couleurs et/ou particulièrement exemplaires.

 

Si vous souhaitez faire connaître ou voir renaître des figures marquantes sur lesquelles vous possédez textes et photos, contactez-nous en utilisant l'adresse mail que vous trouverez sous la rubrique "Contact" ci-contre. Vous pourrez alors nous demander à ce que votre anonymat d'intervenant(e) soit préservé, toutefois aucun envoi non clairement identifiable par notre rédaction sera publié.

 

Le présent portrait retrace la vie de Catherine Belloc, épouse Rivière, ancienne riveraine du Quartier du Port qui, quoiqu'un peu plus mesurée dans sa liberté de ton que sa mère Pascaline*. était malgré sa frêle nature d'une détermination insoupçonnable lorsqu'il s'agissait de prendre la défense des opprimés ou encore d'œuvrer à la progression de l'équité sociale. 

 

* Découvrir le portrait de Pascaline Belloc sous notre rubrique : " Histoire locale - Figures  du passé par quartiers "

 

 

                              Catherine Belloc

                                                           Épouse Rivière

                                                      1885 - 1977

 

    Un personnage d'une détermination à toute épreuve

          Catherine Belloc, future épouse Rivière, photographiée en 1908 dans son habit traditionnel bayonnais.

                                                          

                                                                      Par Christian Rivière

                                                 Aîné de ses petits-enfants

                                                                 

 

Comment mieux camper le personnage de Catherine Belloc, épouse Rivière, qu'en reproduisant une fraction de phrase empruntée à l'ouvrage intitulé CHINGUDY 1913 -1930 (Un peu de ce qui fut) [1] du talentueux narrateur Jean Paguessorhaye, enseignant, chroniqueur-historien local et analyste sociologique hors-pair, qui décrit des dizaines de figures emblématiques hendayaises des "Années folles" (1920-1930) qui s’étendirent des lendemains de la fin du premier conflit mondial pour prendre fin avec la "grande dépression" économique qui marqua le passage à la nouvelle décennie qui suivit. L'un de ces personnages haut en couleurs fut notre grand-mère paternelle, que l'auteur caractérise d'un jet : "... Catherine, mariée à Marcel, un parisien sympa, avec qui elle partagea des convictions bien ancrées, jouissait de la considération générale à Hendaye."

 

Catherine était l'aînée d'une fratrie composée de 6 filles, Charlotte, Françoise, Jeanne, Mayotte, Thérèse, et d'un garçon répondant au doux prénom de Julien. Ce dernier ne trouvera malheureusement pas le temps d'apprécier très longtemps la vivacité d'esprit qui animait alors ce petit monde, puisqu'il décédera des suites d'une infection tuberculeuse avant d'être parvenu à sa majorité. Un drame familial se produisant rarement seul, ce fut, en 1914, au tour de Raymond Belloc, époux à la présence effacée de Pascaline et géniteur de cette nombreuse descendance de succomber à son tour, emporté par une jaunisse foudroyante, peu de mois avant que la Première Guerre mondiale enclenchée suite à l'assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, vienne ensanglanter notre continent.

 

Cette succession de drames éveillera les vocations professionnelles de trois des filles Belloc, puisque Catherine et Jeanne accomplirent une formation d'infirmières dans la capitale avant de venir ensuite intégrer ce que l'on appelait alors le "sanatorium d'Hendaye", alors que la cadette, Mayotte, suivra un cursus similaire qui la mènera à faire une carrière de laborantine au sein d'une unité de recherches en radiothérapie à l'hôpital parisien de La Pitié-Salpêtrière.              

 

     

La rencontre d'une vie

 

Le séjour professionnel de Catherine à Paris ne sera pas sans avoir des conséquences sur la suite de son existence. Elle fera en effet connaissance dans cette bouillonnante capitale de Marcel Rivière, personnage érudit et séducteur, à l'allure britannique marquée par une scolarité accomplie en internat chez les Jésuites, ce qui le mènera à développer une aversion prononcée envers le clergé ainsi que les préceptes catholiques. Catherine épousera Marcel peu de temps avant sa mobilisation, le 1er août 1914, qui le  mènera sur les fronts de la Marne et de l'Aisne, puis au Sud des Alpes tenu alors par l'Armée royale italienne qui, quoique membre de la Triple Alliance constituée avec l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, combattra néanmoins aux côtés des alliés occidentaux pour des raisons de revendications territoriales sur les contrées limitrophes du Trentin-Haut-Adige, ainsi que la Dalmatie ou encore l'Istrie.   

La mobilisation décrétée le 1er août 1914 mènera Marcel Rivière sur les lignes de fronts de la Marne et de l'Aisne. Il fera parvenir à Catherine une carte-lettre datée du 29.10.1914, annonçant l'arrivée des premiers froids sur le front des combats.

Marcel sera démobilisé dès le début d'année 1919 et conservera un souvenir ému des moments où nombre de ses camarades furent gazés, estropiés ou tués sous ses yeux. Il rapportera de cette expérience guerrière une hostilité amère envers les conflits armés et fustigera les aspects tout autant horribles qu'insensés qui en résultent.

 

Revenu à la vie civile, notre grand-père sera recruté par la Compagnie des chemins de fer du Midi qui le congédiera très vite pour avoir participé à la mémorable grève des cheminots de 1920. Il deviendra ensuite ouvrier chez les maîtres verriers-mosaïstes Mauméjean frères qui venaient de créer un nouvel atelier de production sur Hendaye. Puis, la propagation de l'automobile faisant alors fureur, délaissera cet emploi pour prendre le volant d'une somptueuse limousine Panhard & Levassor, dotée d'un puissant moteur de 6 cylindres sans soupapes, avec laquelle il sillonnera la région côtière entre Hendaye et Biarritz en tant que chauffeur de taxi.

 

Il va sans dire que ce n'est pas sur la population hendayaise d'alors, qui atteignait à peine 4 500 âmes, que notre grand-père pouvait compter pour assurer la poursuite de sa nouvelle activité, mais bien plus sur la riche noblesse provinciale qui accourait de toute la péninsule ibérique dans l'espoir de parvenir à côtoyer dans la célèbre ville balnéaire qu'était alors Biarritz l'habitué des lieux que fût Sa Majesté le Roi d'Espagne Alphonse XIII. L'effet de mimétisme faisant, c'est ensuite toute l'aristocratie européenne de moindre rang qui fréquentera Biarritz depuis que Napoléon III et son épouse, Eugénie de Montijo, avaient mis cet ancien village de pêcheurs à la mode au début de la seconde moitié du siècle précédent. 

Marcel Rivière, photographié devant son taxi Panhard-Levassor, limousine au moteur sans soupapes, en attente d'une prise en charge devant la gare d'Hendaye. Photo de 1929.

 

La fin de sa courte carrière professionnelle

 

Les bouleversements politiques qu'engendra la proclamation de la Seconde République espagnole en 1931 incitèrent Alphonse XIII à s'exiler en France, puis dès 1934 à Rome, où l'ex-roi alla définitivement s'installer. Marcel perdit aussitôt l'essentiel de sa clientèle fortunée, car ce ne fut pas l'événement que constitua l'instauration des congés payés par le Front populaire en 1936 qui permit à Marcel de compenser ce manque de clientèle, puisque les flots de salariés qui vinrent sur le littoral basque essentiellement fréquenter la plage d'Hendaye étaient avant tout des gens laborieux qui n'avaient que les moyens d'utiliser les transports en commun. Marcel fut donc contraint d'abandonner cette activité de taxi pour réintégrer les chemins de fer qui venaient tout juste d'être nationalisés avec la création de la SNCF.

 

Cette nouvelle réorientation professionnelle de notre aïeul s'avérera être d'autant plus nécessaire pour le salut financier de la famille que Catherine avait, peu de temps auparavant, dû subir une lobectomie pulmonaire, suite à la contraction d'une infection au chevet d'un malade qu'elle soignait au sanatorium. Cet accident majeur de santé signifiera la fin anticipée de sa carrière d'infirmière et réduira grandement les ressources financières du couple dont les deux fils, Georges (Jojo) et Louis (Loulou), étaient entre-temps devenus adolescents.

 

Contrainte de devoir repenser sa vie, Catherine renouera dès lors très vite avec son engagement citoyen déjà ancien en faveur de la justice sociale ainsi que de l"émancipation féminine. Ces attentes s'exprimaient alors un peu partout en Europe et sur le continent nord-américain pour faire avancer l'égalité des sexes sur le plan salarial, familial, mais aussi électoral avec la revendication du droit de vote universel ainsi que l'éligibilité des femmes. Catherine partageait sur ce sujet les arguments successivement avancés par des personnalités féminines audacieuses telles Hubertine Auclert, entretemps décédée, ou encore la toute autant remuante anglaise Emmeline Punkhurst, que Catherine dénommait, pour une simple question de facilité de prononciation, par son nom de jeune fille, Emmeline Goulden, qui sera l'irrésistible initiatrice du mouvement des Suffragettes. Ces revendications firent alors trembler par leur détermination et leur ampleur la société patriarcale et conservatrice des deux côtés de l'Atlantique.

  Catherine Rivière, en tailleur cintré et chemisier à col d'officier, avec Marcel son époux ainsi que de g. à d. leurs fils Jojo (Georges) et Loulou (Louis).  Photo de 1930.

Malgré la multitude des engagements féministes de l'époque, notre pays devra toutefois attendre d'être libéré du joug nazi et de la parenthèse mortifère du régime de Vichy pour enfin parvenir à instaurer, sous l"impulsion du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) conjointement  mené par les gaullistes et communistes, le droit de vote aux citoyennes par l'article 17 de l'ordonnance du 21 avril 1944  : " Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes.". Cette avancée sociétale ouvrira la voie à la publication, par Simone de Beauvoir en 1949, de l'immense crédo émancipateur des femmes que fut son ouvrage "Le Deuxième Sexe".

 

L'engrenage répressif lié au drame de la Guerre d'Espagne

 

Sensibilisés par la tragédie humaine qu'engendra l'intervention des généraux factieux et leurs alliés nazis contre la Seconde République espagnole en 1936, Catherine et Marcel hébergèrent successivement et jusqu'en avril 1939 [2] des dizaines de réfugiés espagnols dans les deux grands greniers qui jouxtaient leur appartement du dernier étage du 29 de la rue du Port. Ces civils n'avaient d'autre issue que de parvenir à franchir la frontière française pour sauver leur vie. Ils n'étaient là qu'en transit et devaient parfois partager ces greniers sommairement aménagés avec des volontaires des Brigades internationales qui cherchaient à rejoindre les lignes de fronts républicaines et étaient envoyés par l'entremise du Secours Rouge de Pau. Parmi ces volontaires se présentèrent, fin juillet 1936, vers 10 heures du soir, quatre civils allemands, antinazis, qui souhaitaient être hébergés pour la nuit avant de repartir porter main-forte aux troupes républicaines. L'un d'eux sera fait prisonnier sur l'un des fronts madrilènes, puis interné à Sachsenhausen, camp de concentration où Loulou Rivière le retrouvera après avoir été à son tour déporté en janvier 1943.

 

L'hospitalité offerte à ces allemands enclencha aussitôt les premières tracasseries des autorités administratives françaises. En effet, peu de temps après, notre grand-mère fut convoquée par le juge de paix de Saint-Jean-de-Luz qui lui reprocha de ne pas avoir déclaré l'hébergement d'étrangers, la condamnera à payer une amende symbolique, moyennant quoi elle devait promettre de ne pas récidiver. Catherine répliqua poliment au juge : " Ne pas recommencer Monsieur le Juge ? Demain, Monsieur le Juge, je recommencerai s'il le faut ! " [3]. Suite à l'ébruitage de cette convocation, Léon Lannepouquet, maire d'Hendaye de l'époque, édile au grand cœur et à la trempe foncièrement républicaine, fit appeler Catherine et lui remboursa ce qu'il considérait être une punition injuste. Nos deux personnages se tutoyaient depuis leur enfance et partageaient un rapport familier qui reposait sur une large convergence de vues sur des sujets tels que l'humanisme et la citoyenneté.  La déportation à Dachau de Léon Lannepouquet en juin 1944 et son décès dans ce camp six mois plus tard pour n'avoir jamais accepté de se plier aux injonctions de  l'occupant nazi, firent que Catherine ne parvint que des années après la Libération à faire son deuil de ce personnage qu'elle avait si respectueusement admiré.

 

L'envoyé spécial du quotidien communiste L'Humanité  partagera plusieurs fois la table familiale des Rivière pendant les trois années que durera la Guerre d'Espagne. Il venait chaque fois recueillir des informations à partir des premières loges du drame. Le couple eut même l'honneur de recevoir, en août 1936, un visiteur de marque en la personne de Prosper Môquet, député communiste du Front Populaire et élu du XVIIème arrondissement de Paris. Ce dernier était également venu s'enquérir des nouvelles qui parvenaient des divers fronts de la péninsule ibérique. Prosper Môquet avait fait le voyage en compagnie de son épouse Juliette, ainsi que de Guy et Serge, leurs fils. Guy, l'aîné, sera arrêté 13 octobre 1940 à la gare parisienne de l’Est par la police française, puis tombera sous les balles d'un peloton d'exécution au camp de Choisel (Châteaubriant) le 22 octobre 1941, en représailles à un attentat commis par des maquisards contre un officier supérieur allemand. Guy n'avait que 17 ans. [4]

C'est dans l'appartement partiellement mansardé du dernier étage du 29 Rue du Port que vécut jusqu'en 1977 la famille Rivière. La partie arrière du logement donnait sur deux grands greniers où furent successivement hébergés des brigadistes internationaux qui rejoignaient les rangs de l'Espagne républicaine, puis des civils espagnols qui avaient pris le chemin de l'exil. Au premier étage de l'immeuble vivait la famille Armandaritz, artisans pêcheurs depuis plusieurs générations.

Les prémisses d'un effondrement démocratique

 

Catherine subira le contrecoup de son engagement résolu en faveur des républicains espagnols dès la fin du gouvernement de Front populaire en avril 1938. Le changement gouvernemental qui s'opéra alors était dû aux atermoiements de Léon Blum, SFIO (Ex-appellation du PS) , qui semblait ne pas avoir pris la mesure de la tournure internationale que prenaient désormais le conflit espagnol et la mise sous tutelle, le 19 mars 1939, de la Bohême-Moravie (partie tchèque de l'ex- Tchécoslovaquie) par l'Allemagne. L'attentisme de Léon Blum face à ces deux problèmes finira par le discréditer. Il sera remplacé à la Présidence du Conseil par le radical Édouard Daladier.

 

À peine nommé, Daladier profitera de la divulgation de l'existence du Pacte germano-soviétique [5], traité de non-agression conclu le 23 août 1939 entre l'Allemagne et l'Union soviétique à Moscou, pour mener la chasse aux communistes français, faisant arrêter 49 de ses 72 députés et interdire l'ensemble de ses activités,  alors que cet accord fut unilatéralement rompu par Hitler le 22 juin 1941 avec le déclenchement de l'invasion de l'URSS sous le nom de code Unternehmen Barbarossa (Opération Barbarossa). Il va sans dire que la stigmatisation des communistes ne fit que renforcer l'atmosphère de suspicion généralisée qui régnait en cette phase pré-guerre, et qu'elle favorisera grandement la progression spectaculaire de la pensée maurrassienne [6] dans les sphères intellectuelles, la presse ainsi que la grande et petite bourgeoisies qui espéraient une implosion de la IIIème République afin de ramener le pays sur la voie du conservatisme.

 

Ainsi ne faut-il pas s'étonner que l'entrée en guerre qui allait suivre libérera immédiatement les moyens répressifs indispensables à la soumission du pays au diktat d'un tribun nationaliste et pro-collaborationniste qui se dénommera Pétain.

 

En ce dimanche du 15 octobre 1939 ce fut au tour de Loulou, alors âgé de 17 ans, d'être ciblé par les Renseignements généraux (RG) en gare d'Hendaye, alors qu'il s'apprêtait à prendre le train pour rendre visite à Mayotte, sœur cadette de Catherine, qui vivait dans la capitale. Le préposé à la fouille de ses bagages, l'inspecteur Papi, qui se distinguera par la suite pour avoir pendant tout le temps de l'occupation allemande été un servile agent des nazis, trouvera même le moyen de déchirer l'abdomen d'un poulet cuit, destiné à servir de présent à Mayotte, afin de vérifier qu'il ne contenait rien d'autre que de la farce. Le 23 mars 1940, Loulou sera licencié par les PTT où il était employé au service des télégrammes, au prétexte de s'être servi d'une enveloppe de service pour s'adresser au maire, Léon Lannepouquet. Quelques semaines plus tard, deux gendarmes se rendirent sur son nouveau lieu de travail, à Saint-Jean-de-Luz, pour lui signifier qu'il devait se conformer à l'interdiction de séjourner sur un périmètre qui englobait tout le Pays basque.

 

Les premiers signes de la future collaboration vichyssoise avec les nazis

 

L'arsenal déployé pour harceler notre famille prit dès lors une tournure si manifestement répressive que l'on peut, avec le recul du temps, se demander comment, avec l'invasion allemande qui allait suivre, ses membres les plus en vue pouvaient encore échapper à un internement.

 

Parvenus à rapidement occuper plus de la moitié du pays, les nazis laissèrent au régime de Vichy le soin de recruter dans les rangs des services de renseignements issus de la défunte IIIème République des agents chargés de traquer " l'ennemi intérieur ". Catherine se verra donc confrontée à la réapparition de son dossier et sera aussitôt frappée, par arrêté préfectoral en date du 1er décembre 1940, d'une " astreinte à résider sur le territoire de la commune d'Hendaye ", avec obligation de se présenter " le premier lundi de chaque quinzaine à la brigade de gendarmerie ", sous prétexte qu'elle faisait partie " des individus dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique ".

Par arrêté en date du 1er décembre 1940 émis par la préfecture des Landes, Catherine Rivière se voyait notifier une assignation à résidence assortie d'une obligation de se présenter le premier lundi de chaque quinzaine à la brigade de gendarmerie d'Hendaye.

Cette assignation à résidence sera pour notre grand-mère un moindre mal, car on peut légitimement s'interroger sur ce qu'il serait advenu d'elle si l'occupant n'avait pas ordonné à l'autorité vichyssoise de ne choisir que des individus en bonne condition physique pour fournir en main-d’œuvre les camps de déportation qui étaient des lieux où les internés étaient contraints de se plier à une production esclavagiste au service de la machine de guerre nazie.

 

Cette nouvelle vie sous étroit contrôle n'évitera toutefois pas à Catherine et Marcel d'être, tôt un matin de 1941, confrontés à une perquisition de leur appartement. La minutieuse fouille des lieux que deux policiers venaient entreprendre aurait pu fort mal se terminer si Catherine n'avait eu la présence d'esprit de les leurrer en leur lançant sur un ton provocateur devant une armoire à linge de la plus grande des chambres : " Si vous cherchez un pistolet, il est là sous les draps ! ". Ces propos d'une audace inouïe dérouteront ces "visiteurs" qui s'acharneront à rechercher encore plus intensément ailleurs, puis repartiront au final bredouilles, alors qu'une arme avait réellement été dissimulée dans un double-fond de cette armoire.

 

Nos grands-parents furent à compter de ce jour contraints de vivre reclus, ceci afin de ne pas exposer d'autres membres de la famille ou du cercle des résistants locaux à la brutalité de l'occupant, mais aussi limiter la propagation de rumeurs qui faisaient le bonheur des délateurs en tous genres qui s'activaient parfois uniquement dans le but de tirer un profit financier de cet acte qui était la plupart du temps gratifié par les nazis ou Vichy. 

 

Le 22 octobre 1942, Loulou, alors âgé de 20 ans, sera interpellé au domicile familial et emmené sous escorte dans une cellule de la gendarmerie prévôtale située alors au N° 20 de l'actuelle Rue du 19 Mars 1962. Il sera quelques jours plus tard interné pendant plus de 3 mois au Fort du Hâ à Bordeaux, puis transféré vers le camp de Compiègne-Royallieu [7] d'où, entassé dans un wagon à bestiaux parmi cent autres détenus, il parviendra le 25 janvier 1943 au camp de concentration de Sachsenhausen. Catherine et Marcel passeront dès lors des moments émotionnels douloureux en ce gros bourg qu'était encore Hendaye et où tout un chacun parvenait inévitablement à être informé des malheurs qui s'abattaient sur les familles que l'occupant et ses laquais persécutaient.

 

Catherine parviendra néanmoins à tant bien que mal surmonter la douloureuse période qui s'annonçait en ne pensant qu'au sort réservé à son plus jeune fils, ainsi qu'aux milliers d'autres qui avaient également été déportés. Ceci l'incitera à encore plus accentuer son action au sein du "Comité féminin (clandestin) de la Résistance" qui, à l'image de ceux qui se développaient peu à peu au plan national, avait localement été constitué dès la fin de 1942 [8]. Elle organisera par la suite, alors que la Wehrmacht était en déroute sur les divers fronts de l'URSS et que l'entrée en guerre des USA n"était plus qu'une affaire de temps après l'attaque aérienne nippone sur la flotte américaine à Pearl Harbor, une "Section locale de l'Union des femmes françaises (UFF)" dont elle assumera, la Libération venue, un temps la première présidence.

 

Ses engagements ultérieurs ...

 

Enrichie des enseignements qu'apportèrent les centaines de milliers d'opposants politiques allemands que les nazis firent interner et/ou assassiner dans les premiers camps de concentration créés dès 1934, ainsi que de l'engagement exemplaire que les milliers de volontaires allemands démontrèrent dans la défense de la République espagnole au sein des Brigades internationales, Catherine refusera constamment de confondre la responsabilité du Troisième Reich dans l'horreur de l'holocauste et de la déportation avec le statut de conscrits qu"avaient les hommes du rang enrôlés pour combattre au sein de la Wehrmacht.

 

Ainsi s'opposera-t-elle constamment à ce que l'on accable le peuple allemand considéré dans sa globalité, et clamera sans relâche, à l'image de ce qu'elle fit lors de nos guerres coloniales, que seuls les ordonnateurs de ces abominables actes ainsi que les tortionnaires qui les accomplirent se devaient d'endosser leurs responsabilités devant la communauté internationale et l'Histoire. Elle reprochera en ce sens aux autorités de notre pays qui initièrent les tonsures publiques des femmes qui s'étaient "offertes" à de simples soldats de l'armée d'occupation, d'avoir permis de détourner l'attention de la population sur les responsabilités de nombreux fonctionnaires vichyssois et autres collaborateurs de tous rangs qui bénéficièrent par ce biais d'échappatoires à des procès.

 

Catherine s'engagera dès la création du Secours populaire français (SPF) en 1945 au sein de cette association qui renaissait des cendres du Secours Rouge d'avant-guerre et apporte encore de nos jours, aussi bien dans notre pays que dans ceux où sévissent de récurrents problèmes humanitaires, une précieuse aide alimentaire et matérielle aux plus démunis, réfugiés, victimes de catastrophes naturelles et de guerres.

 

... et jusqu'à la fin de sa vie

 

La phase de la décolonisation générera bien d'autres combats chez notre grand-mère. Catherine sera une fervente admiratrice de la grande figure indochinoise que fut Nguyen Aï Quoc, (plus connu sous le pseudonyme de Hô Chi Minh), fondateur de la "Ligue pour l'Indépendance du Viêt Nam", qui au congrès de Tours de la SFIO en décembre 1920 fit une intervention remarquée sur la libération des peuples soumis aux colonisations.

 

Il en fut de même concernant l'emblématique indépendantiste Ben Bella, ancien combattant de la 1ère Armée du général de Lattre de Tassigny, qui s'illustra dans la Bataille de Monte Cassino ainsi que la Campagne d'Allemagne (1945) et fut décoré de la Médaille militaire par le général de Gaulle avant de passer près de 25 années de sa vie en prison pour avoir entraîné son peuple à se libérer du joug colonial. Catherine s'engagera également sans compter dans le Comité de soutien créé pour qu'éclate la vérité sur la disparition du jeune mathématicien algérois Maurice Audin, arrêté, puis torturé et exterminé par des éléments de l'armée française pour avoir pacifiquement soutenu la cause de l'indépendance algérienne. Elle épaulera avec une farouche détermination et de nombreuses autres concitoyennes le combat de Josette Audin, qui luttera pendant 60 années et jusqu'à son décès pour que toute la lumière soit faite sur l'assassinat de son époux Maurice. [9]

 

Notre inébranlable aïeule ne parvint jamais à se départir des méthodes de dissimulation qui eurent cours pendant les années d'occupation et trouvèrent encore une part de justification lors de la poursuite de l'insupportable dictature franquiste au-delà de 1945. Ainsi, accrochera-t-elle jusqu'au début des années 60 un torchon à la fenêtre de la cuisine du dernier étage du 29 rue du Port afin de faire comprendre aux nouveaux réfugiés politiques venus d'outre-Bidassoa que la soupe du midi était prête, comme cela était courant de le faire du temps où ces derniers se réfugiaient dans la clandestinité.

 

Ses dernières confidences

 

Il serait enfin incomplet de ne pas rappeler que notre  grand-mère s'insurgea souvent sur la fin de sa vie contre la lente mais inexorable disparition de l'environnement apaisant auquel elle tenait tant et qui faisait alors le charme du gros bourg qu'était encore Hendaye.

 

Elle contestera ainsi sans relâche la destruction du lavoir de Caneta, et fit à ce sujet de tels tapages lors des délibérations du Conseil municipal dans l'enceinte de l'ancienne mairie qu'un petit bassin de remplacement fut construit, puis quelques années plus tard enseveli sous les remblais qui allaient permettre l'extension de la gare de triage. Je la revois encore  brandir à bout de bras à partir des sièges réservés au public son parapluie refermé dont elle ne se dessaisissait quasiment jamais tout en manifestant sur un ton véhément son mécontentement dès qu'une quelconque délibération allait dans le sens d'une transformation de son cadre de vie. Mais, peu de temps avant de s'éteindre, elle finira par me confier sur un ton résigné, qui m'avait profondément peiné puisqu'il annonçait qu'elle avait pleinement pris conscience que ses jours étaient désormais comptés, qu'après avoir connu une longue et bouillonnante existence ses combats n'avaient dorénavant plus de sens tellement elle se savait impuissante à empêcher des transformations qui défiguraient toujours plus  la ville qu'elle avait tant aimé..

        Catherine, lors du repas festif organisé à Biriatou en l'honneur de son 90ème anniversaire, le 11 août 1975.

Souvenir post-mortem

 

Je croise il y a de cela une quinzaine d'années devant son domicile de la rue des Lauriers Denise Parnaud, née Imatz, fille des propriétaires du jadis célèbre grand-hôtel hendayais éponyme. Je m'empresse de la saluer mais, ne pouvant me distinguer puisqu'elle est atteinte d'une cécité aggravée, elle identifie néanmoins ma voix et me questionne : " Vous êtes Monsieur Rivière ? ".

 

Assurée d'avoir affaire à ma personne, elle poursuit : " J'ai un souvenir impérissable de votre grand-mère Catherine en mémoire. Nous étions en pleine occupation allemande et, n'ayant alors pas encore de gros problèmes avec mes yeux, je me remémore très bien le visage aux traits bouleversés qui devint le sien du jour où ils déportèrent Loulou, son fils cadet. Ceci fut un drame pour elle et sa famille, mais je savais que sa fureur de lutter contre le mal nazi qui alors nous accablait était au moins aussi forte que l'anéantissement qu'elle subissait. Je n'oublierai jamais avec quelle dignité elle continuait tant bien que mal à assumer ses taches quotidiennes.

 

Je me souviens aussi de ce jour de 14 juillet où, alors que notre ville était sillonnée de continuels déplacements de gens en armes, elle avait encore l'audace de suspendre à chacune des trois fenêtres de son appartement du dernier étage de la rue du Port de grandes pièces de linges aux couleurs de notre emblème tricolore, qui se trouvait ainsi être le seul à symboliquement flotter sur Hendaye en cette circonstance.

 

Je tiens à vous confier que notre famille ne partageait pas les convictions politiques des vôtres, mais que nous étions toutefois tous profondément ébahis et admiratifs devant la témérité dont elle nous administrait la preuve."

 

Adorable Mamie, je suis infiniment reconnaissant au hasard de l'existence d'avoir eu la chance de pouvoir intimement te côtoyer pendant les 34 premières années de ma vie. Tu étais si humainement attachante que ton souvenir éveille encore aujourd'hui en moi un inaccessible désir ; celui de parvenir un jour à posséder un seul petit fragment de ta magnifique personnalité.

 

 

Notes :

 

[1] CHINGUDY 1913 -1930 (Un peu de ce qui fut), par Jean Paguessorhaye, page 324.

 

[2]  Suite aux accords Bérard-Jordana conclus le 25 février 1939 entre la France et l'Espagne au siège du nouveau gouvernement nationaliste installé à Burgos, notre pays obtint un gage de neutralité espagnole en échange de sa reconnaissance de la légitimité de Franco sur l'Espagne. Ceci impliquera, entre autres, que les deux pays signataires s'engagent à prendre toute mesure propre à étroitement surveiller, chacun sur son territoire, toute activité qui pourrait nuire à la sécurité de l’État voisin, ce qui permet d'expliquer pourquoi Catherine sera convoquée par un juge de paix. Dans les jours qui suivirent la signature de ces accords  le gouvernement d’Édouard Daladier déléguera, le 2 mars 1939, Philippe Pétain comme ambassadeur à Burgos.

 

[3] Ailleurs demain de Louis Rivière. Éditions Tirésias -AERI, Paris, page 81.

 

[4] Lire une courte biographie de Guy Môquet : https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Guy_M%C3%B4quet/149687

 

[5] Le Pacte germano-soviétique faisait lui-même suite aux accords de Munich de 1938 signés entre l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie qui signifièrent le démantèlement de la Tchécoslovaquie, puis l'échec des négociations menées en vue de constituer une alliance soviéto-occidentale contre l'Allemagne nazie et les autres puissances de l'Axe. 

Lire aussi " Un autre récit des accords de Munich " : https://www.monde-diplomatique.fr/2018/10/GORODETSKY/59133

 

[6] Pensée propagée par Charles Maurras (1868-1952). Condamné après-guerre à la dégradation nationale et à la réclusion à perpétuité cet adepte du nationalisme intégral salua l'arrivée du maréchal Pétain en 1940 comme une "divine surprise" et voyait en " l'État français " une revanche sur la Révolution.

 

[7] Le camp de Compiègne-Royallieu, moins connu que ceux de Drancy ou de Natzweiler-Struthof (Alsace annexée), était reservé au transit des convois de détenus politiques destinés à être déportés pour raison de "répression".  La plupart des internés de ce camp avaient donc été arrêtés en représailles à des attentats antiallemands ou pour être des "agitateurs" communistes. Le camp comptait également dans une de ses trois sous-divisions des détenus notables juifs, pour la plupart issus du cercle des professions libérales, qui étaient là en attente d'être déportés vers Auschwitz. Ce camp aura été le seul de ceux situés en France (hors Alsace-Lorraine annexées) à être commandé par les Allemands avant Juillet 1943.

Le choix de ce lieu était pour les nazis hautement symbolique puisque, le lieu-dit "Royallieu" est situé à seulement quelques kilomètres de là où, le 22 juin 1940, avait été signé l'armistice qui établissait les conditions de l'occupation de la France par le Reich, Hitler ayant exigé que ce second armistice se tienne lui aussi dans le wagon positionné en clairière de Rethondes qui avait déjà servi de "décor historique" à l'armistice franco-allemand précédent qui mit fin à la Première Guerre mondiale le 11novembre 1918. 

Regarder le document filmé retraçant  les préparatifs de ce cérémonial : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00007864/signature-de-l-armistice-franco-allemand-a-rethondes

 

[8] Découvrir l'origine de ces "Comités féminins de la Résistance": https://fr.wikipedia.org/wiki/Henriette_Bidouze . Lire également " Elles, la Résistance", ouvrage collectif rédigé (entre-autres) par Marie-Louise Coudert, Paul Hélène, Marie Claude Vaillant-Couturier (livres d'occasion en bon état à la FNAC)

 

[9] Lire l'article que nous avons dédié à Maurice Audin en l'occasion du 59ème anniversaire de sa disparation, le 10 juin 2016 :  https://hendaye-environnement.over-blog.fr/2016/06/maurice-audin-et-son-epouse-josette-jeunes-fiances-a-alger-59eme-anniversaire-de-l-assassinat-de-maurice-audin-jeune-et-brillant-mat

 

Voir également l'annonce de la reconnaissance du rôle de l’État dans la mort  de Maurice Audin : https://www.liberation.fr/france/2018/09/15/la-reconnaissance-du-role-de-l-etat-dans-la-mort-maurice-audin-aura-t-elle-des-consequences-juridiqu_1678772

 

 

 

 

 

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Published by Sirius