SOCIÉTÉ
L'inédite régression sociétale qui frappe actuellement notre pays se manifeste aussi sous la forme d'un névrotique besoin d'une partie de nos "élites", mais aussi de certains élus politiques, d'exprimer à tout bout de champ leur racisme. Ces nauséabonds positionnements sont bien entendu situés aux antipodes de notre héritage républicain, et il suffisait d'écouter ces derniers jours la députée européenne Nadine Morano pour parvenir aisément à s'en convaincre. Cherchant à justifier son intolérable propos, Mme Morano a même tenté de lier le général de Gaulle à ses vues racialistes, citant un texte dont les spécialistes du général contestent l'authenticité.
Jamais depuis les années 30 la société française n'avait connu une telle profusion de voix aussi xénophobes. Il faut se souvenir qu'en 1937, un dénommé Félix Eboué * avait, alors que le racisme était parvenu à son paroxisme partout en Europe, appelé les écoliers de Pointe-à-Pitre à " piétiner les préjugés, tous les préjugés, et (à) apprendre à baser l'échelle des valeurs uniquement sur les critères de l'esprit " poursuivant : " Les pauvres humains perdent leurs temps à ne vouloir considérer que les nuances qui les différencient pour ne pas réfléchir à trois choses précises qui les réunissent : les larmes, le sang, l'intelligence." (1)
La multiplication des dérapages raciaux auxquels nous assistons aujourd'hui créée une dynamique faisant grandement le lit de l'extrême droite nationaliste et fragilise les fondements du vivre-ensemble que notre République place en premier plan dans notre Constitution : " la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale " et " elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion." (Article 1er de ce texte fondateur).
Les motivations des exilés d'aujourd'hui, qui viennent essentiellement de pays non européens plongés dans des conflits guerriers ou encore de contrées où règne une profonde misère, ne sont en réalité pas différentes de celles qui enclenchèrent les migrations successives d'antan, ces humains s'exilant avant tout pour échapper aux massacres ou encore éviter la famine. On ne peut donc que blâmer ceux qui cherchent à déformer ou étouffer ces cruelles réalités par des propos inappropriés qui sont propices à instaurer la confusion et l'oubli dans notre mémoire collective.
La stigmatisation régulière de " l'étranger " à laquelle on assiste de nouveau aujourd'hui remet en cause le principe de fraternité sans lequel aucune vie en communauté est possible. Elle est aussi une redoutable arme déstabilisatrice qui participe à faire basculer le pays entre les mains des ennemis de la République. De nombreux antécédents historiques retracent ce risque, ainsi que l'analyse la chronique ci-après écrite par le fils d’un ancien combattant républicain espagnol de la Guerre d'Espagne qui fut par la suite résistant sous l'Occupation nazie dans l’Aveyron.
La Rédaction d'HENDAYENVIRONNEMENT
* Félix Éboué, né en 1884 à Cayenne, décédé en 1944 au Caire. Humaniste et littéraire, il fut gouverneur du Tchad, alors colonie française. Résistant de la première heure durant la Seconde Guerre mondiale, sa dépouille repose depuis 1949 au Panthéon.
(1) Citation rapportée par le quotidien Le Monde du mardi 6 octobre 2015.
Par Jean Ortiz **
Des dizaines de milliers de descendants de Républicains espagnols, fils, filles, petits-fils (filles) du premier exode massif du 20 siècle, vivent avec douleur l’attitude de « la France officielle », macronisée, dans la « crise des migrants »... que nous sommes tous.
Cette France des classes dominantes, prêtes à tout, et d’abord aux « réponses sécuritaires », pour conserver pouvoir, privilèges, hégémonie, est celle des féodaux, des Versaillais, des émigrés de Coblentz, de la Cagoule, des Maîtres des Forges, des « Croix de Feu », des anti-Dreyfusards, de la « milice », des pétainistes, celle qui depuis le début des années 1930, fascinée par le « modèle allemand », prépara la fascisation de la démocratie et la liquidation de la République, cette « gueuse ».
Tout fut volontaire, organisé, délibéré... Le vernis démocratique vite jeté aux orties par intérêt de classe.
Lorsque nos parents, ces premiers antifascistes, vaincus, abandonnés par toutes les « démocraties », arrivèrent par milliers à la frontière catalane, la France officielle ne fut pas dépassée. Elle savait que la Catalogne tombée, la « Retirada » provoquerait un exode très nombreux. Face au drame annoncé, Elle, qui par la « non intervention » préféra Franco au « Frente-crapular », promut le « chaos », la xénophobie, parlant y compris « d’invasion »... au lieu de simple humanité. Les mêmes, toujours les mêmes !
La France des « élites » avait depuis longtemps, par « anti-bolchévisme », choisi la défaite, donc son camp : celui de Franco. Voilà pourquoi elle humilia nos parents et en parqua 275.000, sur près de 500.000, dans des camps dits à l’époque « de concentration », entourés de barbelés et surveillés par d’arrogants gendarmes et des forces militaires « coloniales » fanatisées. Ces camps : Argelès, Barcarès, Gurs, Collioure, le Vernet, Setfonds, Saint-Cyprien, Rieucros... Aujourd’hui , nous les « héritiers », portons encore en nous cette blessure originelle, et ce traumatisme fondateur.
Le gouvernement Daladier, « de gauche », « queue du Front populaire », à majorité radical-socialiste, investi le 10 avril 1938, menait à la fois une guerre anti-ouvrière (« Plan de redressement économique et financier », « assouplissement de la loi des 40 heures », tiens , tiens !), une répression ciblée, contre les communistes, et criminalisait les « étrangers », surtout « les mauvais étrangers », les « rouges ». Valls n’a rien inventé...
Dès le 12 avril 1938, (puis en novembre) des décrets répriment les « propagandes étrangères » et engagent la chasse à tous les « mauvais étrangers », aux « indésirables »... Plus tard, les décrets-lois des 12 et 19 avril 1939, renforcent cette traque aux « indésirables » : les antifascistes de la MOI, les militants de diverses nationalités réfugiés en France, traités comme des chiens, et qui seront les premiers à prendre les armes (en France, cette France qui foula aux pieds leur dignité), pour continuer un combat antifasciste sans frontière, porteurs d’une « patrie d’idéal ». Ces « envahisseurs » furent, par internationalisme, par antifascisme, plus « patriotes » que beaucoup de Français « de souche » !
Par haine de classe, le 12 novembre 1938, fut adopté un décret sur « l’internement des étrangers indésirables » dans des « centres (bien) spéciaux » (déjà !). La première réaction de cette France des « élites », de la « synarchie », des collabos, et de quelques brebis « de gauche » faussement égarées, fut de renvoyer ces « rouges dangereux » en Espagne, donc à la mort. A la fin 1939, les deux-tiers des réfugiés des « camps de la honte », avaient, le plus souvent sous la contrainte, repris le chemin du retour. Les autres furent contraints au travail forcé, dans des « Groupes de travailleurs étrangers » (GTE) militarisés, surveillés par les services français, les franquistes et les agents nazis.
La France versaillaise, fébrilement « germanophile », nomma ambassadeur en Espagne franquiste (choix ô combien symbolique), un certain Philippe Pétain. Choix délibéré. La France reconnut le gouvernement putschiste de Burgos avant même la fin officielle de la Guerre (premier avril 1939). Un inédit dans les relations internationales ! Par les «accords Bérard-Jordana » (27 février 1939) , un « deuxième Munich », la France de « la bonne société » une nouvelle fois capitula délibérément, devança même la demande, et s’engagea à livrer à Franco les 50 tonnes d’or que les autorités espagnoles avaient déposé en 1931 à Mont-de-Marsan (annexe de la Banque de France), et qu’elle avait refusé aux gouvernements républicains (au nom de la « non intervention » !) lorsqu’ils en firent la demande. Ah, la farce de cette si interventionniste « non intervention » !!
Pétain ambassadeur allait « s’occuper » de ces antifascistes étrangers gênants, « subversifs », et travailler à ce que des milliers soient refoulés et livrés de force à l’ami, l’allié, Franco. Pétain alla jusqu’à vanter le régime franquiste. Début août 1939, il adressa un message officiel au « caudillo » « par la grâce de Dieu » et d’Hitler, louant l’architecture d’une Espagne « pacifiée et pacifique, une, grande, libre » (Voir le lumineux « De Munich à Vichy », de Annie Lacroix-Riz, éditions Armand Colin, p. 121)
La « grande presse » française se déchaînait contre ces « hordes d’envahisseurs » espagnols. Le 9 février, la semaine même où des milliers de combattants de la liberté, de femmes, d’enfants, épuisés, affamés, bombardés en permanence, arrivaient à la frontière de ce qu’ils croyaient « le pays des droits de l’homme », l’éditorialiste du « Patriote des Pyrénées », quotidien à grand tirage, écrivait : « En un siècle où ne règne que la force, où la moindre faiblesse se paie par le sang, il est déjà bien que nous n’ayons pas refoulé la « horde wisigothique ». Pagès dénonçait « le danger de contagion morale et physique, sans compter les femmes, plus indésirables que leurs compagnons, qui vont rôder dans tout le sud-ouest ». La France vit les événements d’Espagne par procuration. La guerre idéologique fait rage. L’opinion publique, chauffée à blanc, est majoritairement hostile à « l’invasion », avale la xénophobie officielle et l’austérité pour les « classes dangereuses ». Seules la CGT, beaucoup de mairies de gauche, le parti communiste, des militants d’autres partis de gauche, le Secours Rouge, des associations et organisations humanitaires, le Comité international pour l’aide à l’Espagne républicaine, des intellectuels comme Paul Langevin, le libertaire comité « Solidarité internationale antifasciste », etc. sauvent l’honneur de la France en organisant, par solidarité de classe, et/ou simple humanisme, un accueil solidaire.
Oui, disons-le et répétons-le, crions-le jusqu’à satiété, les mêmes, toujours les mêmes !
** Jean Ortiz a fait des études supérieures à Montpellier et Toulouse. Il est maître de conférences, syndicaliste et parfois homme politique. Il est spécialiste des littératures des Amériques et des littératures de langue espagnole. Également journaliste, il est chroniqueur à la revue altermondialiste Mémoire des luttes ainsi qu'au quotidien L'Humanité duquel le texte ci-dessus a été extrait le 26 septembre 2015.